Santé et objets connectés : ce que l’avenir nous réserve
Différentes analyses annoncent la présence de 25 à 100 milliards d’objets connectés dans le monde d’ici 2020 et une large partie de ces nouveaux objets devrait concerner directement notre santé. Pour aborder ce sujet qui nourrit autant d’espoirs que de fantasmes, l’EPITA et Sup’Biotech organisaient conjointement une table-ronde le 3 novembre 2015 au campus technologique Paris-Sud IONIS Group Education afin de réunir différents acteurs et spécialistes de l’Internet des Objets et de la santé.
Intitulé « Santé connecté : nos vies en données » et animé par le journaliste Cédric Ingrand, cet événement accueillait ainsi Gilles Babinet, Digital Champion, expert du Big Data et représentant de la France auprès de la Commission Européenne pour les enjeux du Numérique, Frank Bozsak, CEO d’InStent, Jean-Louis Fréchin, fondateur de NoDesign, Alexis Normand, healthcare development director de Withings Health Institute (WHI) ainsi que François Teboul, directeur médical chez Visiomed. Un large panel d’intervenants capable d’aborder un large éventail de sujets au moment où la société s’apprête à connaître « une accélération de l’innovation » majeure selon Cédric Ingrand.
Le boost technologique
Si cette accélération est possible, c’est que la technologie le permet. Ainsi, si en 2013, Visiomed a pu développer une gamme de santé connectée, avec un ensemble de dispositifs médicaux non invasifs, c’est tout simplement parce que de nouveaux moyens sont apparus, facilitant ainsi la connexion entre un médecin et ses patients. « On travaille principalement sur le maintien à domicile, précise François Teboul. Aujourd’hui, la télésanté est mieux déployée et plus facile à mettre en œuvre car les technologies sont moins complexes, notamment avec l’émergence des smartphones. » D’autres entreprises ont depuis longtemps compris l’intérêt du tout-mobile et de l’explosion Big Data. C’est notamment le cas de Withings, une société qui est connue pour ses objets connectés associés au bien-être et qui, avec le développement de nouveaux produits et de son entité Withings Health Institute, bascule vers la santé.
Joël Courtois, directeur général de l’EPITA et Vanessa Proux, directrice générale de Sup’Biotech étaient présents pour l’événement
En charge de développer ses activités nouvelles auprès des prescripteurs (médecins, mais surtout des employeurs et des personnes qui ont besoin de juger de l’impact des objets), Alexis Normand assure qu’en analysant les agrégats de données recueillis par les produits Withings, sa société est ainsi en mesure de « développer des tableaux de bord d’utilité publique », avec « les taux de sédentarité ou d’obésité » de ses utilisateurs. « Il y a une valeur d’usage et les médecins l’ont parfaitement compris, poursuit-il. Or, cela faisait 30 ans que la télémédecine ne décollait pas pour autant. Le feedback permanent des objets connectés change ça. Cela créé un dialogue entre les utilisateurs et l’objet. Chez nous, on confronte l’ingénieur, le designer, le UX designer et le feedback client bien avant de voir l’usage médical. » Un vrai plus donc, comme le stent innovant développé par l’entreprise de Frank Bozsak qui, après une thèse sur ce dispositif, a eu l’idée de les optimiser. « Je voulais en retirer des informations, explique-t-il. Or, comme les stents sont majoritairement en métal, ils peuvent servir naturellement d’antenne. » D’où l’idée d’InStent qui permet de récolter les données et donc aux médecins de suivre l’évolution de l’état de santé des patients transplantés. De quoi nourrir l’espoir selon François Teboul de voir de plus en plus de « capteurs pouvant détecter des anomalies avant que le patient ne s’en rende compte lui-même. La santé connectée est également un sujet mondial. Pour des pays avec peu de structures médicales, cela peut répondre à des problématiques très importantes, comme avec la surveillance maternelle en Côte d’Ivoire par exemple. »
De gauche à droite : François Teboul, Frank Bozsak, Jean-Louis Fréchin, Gilles Babinet et Alexis Normand
La France, futur place forte ?
Comme en témoignent les projets et réussites de Withings, Instent et Visiomed, la France a sa carte à jouer dans ce futur de la santé. C’est aussi l’avis de Gilles Babinet et Jean-Louis Fréchin. Pour le premier, l’Hexagone jouit même de deux atouts importants permettant d’exploiter un réel potentiel. « L’État omniprésent est un avantage, assure-t-il. Comparé à d’autres nations, notre système de santé est totalement intégré, unifié géographiquement et jouit de protocoles médicaux disponibles sur tout le territoire. L’autre raison, c’est que la France est un pays avec une bonne formation d’ingénieurs, avec par exemple une société comme Sigfox qui vient d’intégrer le top 10 des start-ups de Forbes, un média pourtant connu pour ne pas être pro-français. Le seul bémol reste le fait qu’il y ait un vrai problème de compréhension de ces enjeux auprès des institutionnels. »
Si Jean-Louis Fréchin partage l’avis de Gilles Babinet, il n’en oublie pas de pointer certains défauts malheureux. « En France, on sait déployer les technologies mais pas faire un produit, juge-t-il. On essaye de répondre à une nécessité car les ingénieurs aiment réparer ce qui est spécifiable : j’ai un problème, j’apporte une réponse. Le produit, c’est différent : il y a une notion de plaisir. Un produit apporte un besoin en plus. La technique, ce n’est pas tout. Ça change certes, avec des Withings ou Parrot, mais pas très vite. On a aussi du mal à transformer les données en informations et services. Or, une donnée abstraite ne parle à personne. Il faut d’abord la transformer en information pour qu’elle soit compréhensible, puis en service. Les objets connectés, pour évoluer, doivent se rapprocher de la vraie science, comme InStent par exemple. Il faut créer des capteurs et une manière d’aborder la collecte d’informations qui se rapprochent du corps. Avec les biotechnologies, on peut l’envisager. Ce sera une étape assez excitante. »
L’optimisation d’un système
La France ne doit pas passer à côté de cette opportunité connectée selon les intervenants, surtout quand on sait les dépenses pharaoniques qu’engendre son système de santé. « En France, la santé du 20e siècle est post-traumatique : on attend que vous soyez malade pour vous soigner et il y a très peu de prévention, rappelle Gilles Babinet. On dépense 400 milliards par an dans la santé, si bien que, lorsque vous êtes en CDI, 1 jour sur 5 sert à rémunérer ce système. 100 milliards sont également consacrés à l’achat de molécules. L’idée, c’est d’avoir une mutation brutale pour obtenir un système préventif et personnalisé. » Or, à en croire le Digital Champion, la donnée ne représente qu’un tiers de l’enjeu. « Les GAFA interviennent uniquement sur l’un des maillons de la chaine, le diagnostic, mais pas encore sur la prescription et le protocole. Est-ce qu’on doit synchroniser le protocole de santé ? Si on veut avoir une vue d’ensemble, il faut prendre en compte ces paramètres. Actuellement, Shanghai est le seul pays à faire une révolution là-dessus, en basculant sur un système massivement centré sur la donnée et la prévention, suite à la grippe aviaire. Ils sont de fait entrés dans un modèle préventif et individualisé. » L’évolution est donc nécessaire, si ce n’est vitale. « Il faut changer la manière de faire les choses plutôt que les choses elles-mêmes, analyse Jean-Louis Fréchin. Les gens du numérique savent le faire. Il faut faire plus avec moins d’argent : le budget de la santé doit baisser. Cela ne signifie pas supprimer la sécurité sociale mais la réinventer. »
Avec la venue annoncée de la santé connectée, une autre question surgit, celle de la propriété des données collectées. Pour le représentant de Withings Health Institute, la réponse est simple : elles appartiennent à ceux qui les produisent, d’autant qu’en France, il est de la responsabilité de l’utilisateur de donner ou non son consentement quant au partage de ces dernières. « Withings les héberge en tant que prestataire de services, détaille Alexis Normand. Nous sommes seulement les propriétaires de nos algorithmes et des analyses de ces données agrégées. » La législation n’est pourtant pas la même selon où l’on se trouve sur le globe et certaines subtilités subsistent. « La question de l’exploitation et de l’appropriation des données donne lieu à un grand fantasme, s’amuse François Teboul. Il faut que l’utilisateur soit conscient que, si ses données personnelles sont hébergées en France, les données anonymes le concernant sont quant à elles exploitées, ici ou à l’étranger. » À en croire, Jean-Louis Fréchin, aucune ligne directrice commune n’existe et différentes philosophies s’opposent. « Apple les saucissonne dans leurs appareils, alors que Google fait l’inverse, sans parler du point de vue de l’open data mis en place par les États. À terme, on peut imaginer les individus vouloir garder leurs données ou s’adresser à des places de marché pour obtenir des services privés afin de les analyser. La vraie question consiste à savoir si l’on se centre autour des individus et si l’on fait confiance aux États. Pour l’instant, il n’y a pas de garantie absolue sur l’anonymat des données. C’est ce qu’a très bien démontré l’affaire Snowden. »
Trouver l’équilibre entre innovation et protection
L’éthique et la morale sont donc au cœur de cette révolution promise qui, vraisemblablement, verra les entrepreneurs, les ingénieurs et les scientifiques se positionner en première ligne. « La responsabilité est du côté de l’entrepreneur, affirme Frank Bozsak. C’est peut-être naïf mais, dans le cas d’InStent, l’important me semble être de respecter la confiance accordée par les patients et les médecins. » « Quand on part du statut d’entrepreneur, on se dit qu’il faut supprimer l’État et que tout ira mieux, réagit Gilles Babinet. Or, la régulation est aussi importante que la place des entrepreneurs. Pour changer ça, les ingénieurs représentent une force politique. Avec le code, ils peuvent déjà influencer la marche du monde et entrer dans la société civile, comme le montrent les exemples récents de BlaBlaCar et Uber. A contrario, la régulation a peur du risque. Quand on rend anonymes des données de santé, on peut perdre une certaine qualité d’analyse, comme l’observation géographique d’un problème. » Si réguler semble nécessaire, trop réguler risque donc de rendre caduques de formidables avancées. Il faut alors trouver un juste milieu pour construire ce nouveau possible. « Ce champ d’application est assez extraordinaire et c’est vous qui allez le mettre en place », conclut François Teboul face aux étudiants de l’EPITA et de Sup’Biotech. À eux de relever ce défi.