Free to play, jeu vidéo et Pologne : entretien avec Vincent Vergonjeanne (EPITA promo 2004), cofondateur du studio EveryDayIPlay (2/3)
Lors des Game Connection Development Awards 2016 de San Francisco, le studio de jeu vidéo EveryDayIPlay cofondé par Vincent Vergonjeanne (EPITA promo 2004) a remporté le prix du « Best Social Game » pour son jeu Heroes of Paragon. Cette récompense est l’occasion pour l’EPITA de mettre en avant cet Ancien au parcours atypique à travers un long entretien. Dans cette deuxième partie, il revient sur le succès de Vikings Gone Wild, le premier jeu d’EveryDayIPlay, ainsi que son approche du métier de CEO.
Comment s’explique le succès de Vikings Gone Wild ?
Nous avions pensé le jeu comme un « fast follow » (soit une suite rapide) au titre Clash of Clans, qui lui avait connu un succès international sur smartphone. Or, comme nous avons été les premiers à proposer un jeu de ce genre via Facebook, le succès a pris très rapidement. Grâce à un partenariat très étroit avec Facebook construit depuis l’époque de Kobojo, le réseau social nous a donné une très grande visibilité, nous permettant d’obtenir 800 000 utilisateurs en à peine une semaine de mise en avant. Autant dire que notre tout petit studio indé de Pologne a été soudainement propulsé dans une autre dimension. On se fait alors approcher par une très grosse structure, Playtika, la plus grosse société actuelle de social gaming spécialisée sur des activités liées aux jeux vidéo de casino. Intéressée par l’idée d’investir dans d’autres activités, elle acquiert 25 % du studio. Cette assise financière nous permet alors d’acquérir des connaissances en distribution et en acquisition utilisateurs, mais surtout de passer à une équipe de 23 personnes pour sortir en l’espace d’un an les versions iOS, Android et même Kindle du jeu avant de débuter la création d’un nouveau titre bien plus original qui deviendra Heroes of Paragon.
Pourquoi ne pas avoir voulu poursuivre le style déjà initié avec Vikings Gone Wild ?
L’innovation, c’est compliqué, ça coûte cher et c’est la meilleure façon de se casser la gueule. Du coup, innover sur un premier jeu n’est jamais une bonne idée ou alors c’est très risqué. Avec l’assise financière que nous avions après le succès de Vikings Gone Wild et l’arrivée de Playtika, nous étions désormais prêts à partir sur un concept plus novateur et excitant. Après le lancement du soft launch à l’été 2015 et les très bons retours que nous avions eu, nous étions décidé à sortir le jeu à l’automne.
Le soft launch, c’est une étape capitale ?
Incontournable même. Dans le monde du jeu online et du « free to play », il faut faire un pré-lancement pour vérifier ses métriques et être capables de corriger les défauts éventuels, comme par exemple un tutoriel qui fait perdre trop de temps. Avant de mener des centaines de milliers d’utilisateurs sur ton jeu, il vaut mieux avoir vérifié qu’il n’y ait pas de bugs techniques, que la monétisation est claire et que la rétention est bonne. La rétention, c’est voir combien de personnes sur 100 réutilisent l’appli le lendemain du téléchargement, une semaine après, quinze jours après, etc. Ces chiffres-là sont extrêmement important pour prédire de façon très précise le succès commercial du jeu, mais surtout le montant à débourser en termes de marketing lors du lancement global.
Ton discours est très ambitieux, très carré aussi. Penses-tu être meilleur en tant que CEO aujourd’hui qu’à l’époque de Kobojo ?
Mon passage à Kobojo m’a permis de tirer trois leçons très fortes. La première concerne la culture d’entreprise, qui nous avait fortement manqué par manque d’expérience au moment de l’hyper croissance de la société. Avoir une culture d’entreprise et une vision, c’est quelque chose de complétement naturel et intrinsèque quand ton équipe ne compte qu’une vingtaine de personnes. Tu n’as pas de problème de communication – tout le monde est dans la même pièce -, tu n’es pas « défocussé », etc. Sans culture ni vision, ta société peut rapidement devenir très instable, avec des gens qui ne comprennent pas pourquoi ils devraient donner plus d’eux-mêmes, ni pourquoi ils devraient réussir. Avec EveryDayIPlay, je ne voulais pas reproduire ça. Je voulais une culture très forte qui passe par plusieurs points. D’abord, je veux qu’on reste petits quels que soient les résultats financiers. Être « petit » signifie que tout le monde peut interagir avec le produit et communiquer. Chez nous, personne n’est un chiffre noyé dans une masse corporate.
L’autre point, c’est de ne travailler que sur un seul jeu à la fois. Avoir un focus très fort, c’est la clé du succès. Avec Kobojo, on avait commencé comme ça, avec nos premiers jeux Goobox et PyramidVille. Ce dernier a connu un énorme succès et nous a permis d’attirer des investisseurs. Mais une fois qu’on avait levé de l’argent, on s’était dit qu’on allait développer trois ou quatre jeux à la fois, ce qui ne nous a pas vraiment souri, ne serait-ce que parce qu’à l’époque, il était difficile de recruter des personnes conscientes des besoins requis par le modèle free to play. Si Vikings Gone Wild a fonctionné si bien, avec près de 3 millions de joueurs inscrits dans le monde et plusieurs millions de dollars de recettes générés, c’est aussi grâce à cette volonté de se focaliser uniquement sur lui.
Enfin, le dernier point qui rejoint les deux autres, c’est l’idée de recruter doucement. Cela veut dire d’être capable de ne pas recruter dans l’urgence alors que l’on a besoin de quelqu’un tout de suite, mais de faire une chasse minutieuse aux talents à qui on laissera une forte liberté créative.
Si EveryDayIPlay est aujourd’hui un succès à la fois financier et humain, c’est grâce à ces trois ingrédients. Cela me fait d’ailleurs penser à cette superbe citation de Simon Sinek qui résume ça très bien : « Life is beautiful not because of the things we see or do. Life is beautiful because of the people we see and do those things with. »
Une entreprise, c’est comme une famille. Il faut que chaque membre soit épanoui.
Exactement. Pour moi, un des rôles clé du CEO/PDG, c’est celui de s’assurer de la création, de la constance et du respect d’une culture d’entreprise. Il faut se soucier du développement du bien être des gens. Si ça, c’est réussi, alors il y a de très fortes chances pour que les produits développés par ces gens réussissent à leur tour.
Lire la troisième partie du grand entretien consacré à Vincent Vergonjeanne
Relire la première partie