Quand l’EPITA célèbre l’Open Source
Le mercredi 1er février 2017, l’EPITA et la Société Générale s’associaient pour la première édition de l’Open Source Day. Organisé sur le Campus Paris Kremlin-Bicêtre de l’école et réunissant plusieurs dizaines de professionnels issus de grands groupes, de PME/TPE et de start-ups, l’événement permettait aux futurs ingénieurs en informatique de découvrir toutes les facettes de l’Open Source à travers près de 36 conférences. En amont de ces conférences, l’Open Source Day débutait avec une grande séance plénière et trois tables-rondes permettant à différents partenaires de cette journée d’expliquer leur vision du « code source ouvert ».
Laurent Trébulle, directeur des relations entreprises de l’EPITA et Yannick Neff (EPITA promo 2008), enseignant de la majeure Systèmes d’Information et Génie Logiciel (SIGL) et global architect infrastructure à la Société Générale, en charge de l’organisation de l’événement.
Alain Benoist a ouvert cette première édition de l’Open Source Day
Alain Benoist, directeur des processus et systèmes d’information du Groupe Société Générale
« Au sein de la Société Générale, en tant que banque et grande société, nous pensons qu’il y a au moins 5 bonnes raisons de s’intéresser à l’Open Source. Tout d’abord, avec cette approche, on peut essayer avant d’utiliser, ce qui représente une grande facilité. Cela permet aussi d’être indépendant des calendriers des grands vendeurs de solutions pour nos upgrades et mises à jour. L’Open Source implique aussi une appétence en interne pour l’innovation et favorise l’interopérabilité. Enfin, elle offre des possibilités de déploiement agiles : on peut développer un produit partout, en même temps. Un vrai gain de temps.
À la Société Générale, sur nos systèmes d’information, nous avons à peu près 6 000 applications, constituées en générale d’une logique métier, d’une fonction de reporting et d’une interface utilisateur. Et de plus en plus, ces applis évoluent profondément : nous passons d’un monde d’applis connectées à des systèmes de systèmes. Les données sont alors partagées entre les applications. Elles se « désilotent ». Ce phénomène est rendu possible par le Big Data, qui ouvre à de nouveaux usages et de nouvelles technologies. D’ailleurs, 2016 a été l’année de l’émergence à l’échelle industrielle et planétaire de l’intelligence artificielle (IA), avec une augmentation impressionnante de la puissance de calcul et des masses de données qui n’était pas encore imaginable il y a 1 ans ou 2 ans. Un autre phénomène bouleverse aussi les applications : il s’agit de l’évolution des interfaces utilisateurs, avec la présence de chat bots, de robots, d’outils de visualisation de données… Ainsi, les applis possèdent désormais plusieurs interfaces utilisateurs. Cela nous demande de proposer des interfaces combinées à plusieurs applications. De ce fait, dans un monde où les nouvelles technologies émergent et s’imposent très rapidement, on ne peut pas rester sur des solutions, standards et licences propriétaires, en tout cas si l’on veut suivre le mouvement de cette course à l’innovation engagé entre tous les acteurs. Voilà pourquoi il nous semble primordial de contribuer à l’univers de l’OS. Nous nous reconnaissons dedans et avons à y gagner. La liberté de l’OS, c’est d’avoir le choix. »
De gauche à droite : Simon Radier, Frédéric Aatz, Jérome Fenal et Grégory Bécue
Simon Radier (EPITA promo 2011), enseignant de la majeure Multimédia et Technologies de l’Information (MTI) et membre du cabinet de conseil Wavestone
« Longtemps, l’Open Source a été vu comme un modèle de distribution gratuit : c’est une erreur. Aujourd’hui, les choses ont changé et on le considère davantage comme un modèle de partage, d’échange. Nous par exemple, au sein de notre cabinet de conseil indépendant, nous n’avons pas de partenariat avec de grands éditeurs. Pour de futurs ingénieurs comme ceux de l’EPITA, cette approche semble logique, naturelle : ils sont déjà utilisateurs et au fait de la partie technique. Pour eux, l’OS est une dynamique qui permet de profiter d’avances sur certains usages, comme Hadoop sur le Big Data ou Docker et ses possibilités de déploiement. Cela permet aussi de rendre les systèmes d’information beaucoup plus agiles. Grâce à l’OS, certains de nos clients ont pu passer de cycles de déploiement de 6 mois à 1 an, à des cycles de 1 à 2 mois. C’est désormais la proue du navire qui permet de tirer nos clients vers le haut. »
Frédéric Aatz, directeur de la stratégie Open Source à Microsoft France
« Voir Microsoft s’engager dans l’Open Source peut en surprendre quelques-uns, étant donné que Microsoft est aussi un éditeur de logiciels propriétaires. Il faut pourtant reconnaître ce qu’il se passe sur le marché et s’intéresser à l’interopérabilité, ne pas négliger les innovations « ouvertes » sur le marché. S’ouvrir à l’OS fait partie de la transformation de notre entreprise, depuis longtemps présente sur la propriété intellectuelle. Lier les deux, c’est notre ambition car, pour exemple, certains utilisateurs peuvent aimer nos produits sans vouloir se séparer de leur environnement Linux. Voilà pourquoi nous avons rejoint la Fondation Linux, afin de prendre la responsabilité d’aller dans cette direction et représenter une partie de nos utilisateurs adeptes des solutions OS. En interne, à chacun de nos projets, en machine learning ou sur l’Internet of Things, nous allons toujours en parallèle réfléchir à lancer une API en OS. Il faut prendre le meilleur des deux mondes : c’est notre conviction. Ce mélange est parfaitement réalisable et empreint d’innovation. »
Jérome Fenal, Principal Solution Architect Comptes stratégiques Finance chez Redhat, une entreprise 100 % Open Source
« Chez Redhat, nous avons commencé avec l’Open Source, via le système d’exploitation de Linux. En grandissant, nous avons choisi de poursuivre dans cette voie et d’appliquer ce modèle qui fonctionnait et nous permettait de gagner de l’argent. L’OS est l’une des meilleures façons de développer un logiciel et de pérenniser ses systèmes d’information. Si on se laisse enfermer dans une solution propriétaire, on ne maîtrise pas son rythme de développement. On n’a pas la main sur tout. Pour autant, l’OS demande aussi un gage de qualité pour nos clients, sinon ils iront ailleurs. Enfin, le fait d’être une entreprise 100 % OS est également un atout sur le marché du recrutement : c’est le meilleur moyen de rencontrer les talents et de les embaucher, notamment chez les développeurs sensibles à cette approche. »
Grégory Bécue, associate director, strategy and business, Developpement director executive board member chez Smile, membre du Conseil national du logiciel libre (CNLL)
« Parler de la place de l’OS est toujours important car on a encore besoin de continuer à sensibiliser sur le sujet. En France, l’OS représente déjà 4,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2016 et 50 000 emplois, sachant qu’il manquait entre 4 000 et 5 000 emplois pour satisfaire une croissance en hausse de 15 % par an. Ce marché est extrêmement dynamique. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder en arrière : il y a 10-15 ans, le chiffre d’affaires lié à l’OS était de « seulement » 200 millions d’euros. En plus de réunir un grand nombre de passionnés, l’OS est donc un domaine et secteur particulier, avec des opportunités de carrières et business colossales, avec toujours l’innovation au cœur du processus.
Pour autant, l’OS doit aussi être gage de sérieux. Il y a quelques années chez Smile, nous avons vu arriver de nouveaux acteurs français, des éditeurs, nous demandant d’intégrer leurs solutions. Et bien l’un de ces acteurs avait créé un bon logiciel, mais n’avait pas respecter les notions de licences et de reprocité associées… Ce n’est pas possible aujourd’hui : un ingénieur complet doit absolument se soucier de ces notions de communauté, de partage, de travail ensemble. Désormais, tout le monde s’y met, aussi bien les grandes sociétés du GAFA que nos clients, à l’instar du Groupe PSA qui a récemment développé un outil en OS. »
De gauche à droite : Sébastien Renard, Véronique Torner, Jean-Daniel Bonnetot et Yannick Neff
Sébastien Renard, directeur général du cabinet Eniokla
« L’Open Source n’est pas un problème ou quelque chose d’anecdotique : c’est un potentiel et une solution de développement, de liberté, de verrouillage. Avec lui, on choisit de ne plus confier son destin à une entreprise externe unique, mais de prendre en interne le contrôle, via ses équipes et des partenaires. Ce que l’on économise en licence, on le paye en investissement, dans des choses qui donnent de la valeur à votre entreprise.
L’OS est également important dans le cadre des ressources humaines. Grâce à l’innovation qu’il porte, sa place dans l’entreprise garantit d’avoir des gens motivés par les technologies. Contribuer à l’OS permet d’attirer les meilleurs talents, de développer une bonne image et valorise l’intelligence des ingénieurs. C’est un switch extrêmement important, qui valorise le rôle des informaticiens.
Enfin, le dernier avantage est celui de la rapidité : l’OS offre la possibilité d’être plus réactif, « time to market« . On sort de « l’enfer juridique », avec un temps de contractualisation infiniment plus court qu’avec un logiciel propriétaire, et on gagne du temps en évitant de passer par un département achat : il vaut mieux dépenser son énergie à qualifier un logiciel avec ses équipes. »
Véronique Torner, présidente d’Alter Way
« Auparavant, les grandes entreprises étaient organisées en « silo ». L’arrivée d’Internet et du Cloud a rendu caduques ces organisations, en mettant en exergue un problème important : avec ce système, les équipes de développement et de production ne se parlaient pas. Aujourd’hui, c’est différent : les grands acteurs d’Internet mettent en production plusieurs fonctionnalités par jour ! Chez Alter Way, une petite PME de 120 personnes qui existe depuis 10 ans, tout le monde échange, discute. Nos métiers développeurs et exploitants ont par exemple développé le site d’Equidia, avec des solutions OS et une stratégie méthode DevOps. Nous voulons des architectes capables de réfléchir aux stratégies, pas juste des exécutants. »
Jean-Daniel Bonnetot, Tech Evangelist chez OVH
« Quand on dit Open Source à OVH, en tant qu’opérateurs, on parle d’abord de son utilisation… et si l’on veut rester vivant en tant d’hébergeur, on n’a pas le choix : il faut innover en permanence ! Par chance, l’OS fait partie de nos gênes : l’entreprise ayant été créée par des profils techno, avec une philosophie forte inspirée du hacking, pour modifier et faire évoluer les solutions. On fait donc appel à l’OS pour des besoins d’industrialisation, des besoins clients, etc.»
De gauche à droite : Mehdi Dogguy, Laurent Joubert, Christian Paterson et Simon Clavier
Mehdi Dogguy, project leader, membre de la communauté debian
« L’Open Source, c’est un esprit de partage, de collaboration, pour développer des solutions pérennes. Comme disent les développeurs : « Eat your own dog food ! » Pour parler de ces sujets, nous organisons de nombreuses conférences à travers le monde. Notre objectif est de faire en sorte qu’un maximum de gens utilise l’OS et d’accompagner le pilotage de leurs projets, d’où la création de l’association Software in the Public Interest. Nous portons également un objectif de transparence : il faut assurer que les codes fournis ne sont pas vérolés, ne possèdent pas de failles cachées. »
Laurent Joubert, adjoint du département performance et maîtrise des risques au sein de la Direction interministérielle du numérique du système d’information et de communication (DINSIC)
« Depuis ma première participation au concours Prologin il y a 20 ans, j’ai toujours apprécié la culture hacker, dans le sens positif du terme. Or, cette culture est souvent mal connue. Chez les représentants de l’État, des gens imaginent encore l’informatique comme de la magie noire.
Notre objectif au DINSIC est d’améliorer cette culture numérique au sein des différents ministères. Si, l’on commence à avoir une vraie stratégie sur ce qu’on fait de nos données, avec la création d’Etalab en 2011, la question des codes sources reste mal comprise par les politiques. Pourtant, en 2012, on a pu avoir la circulaire Ayrault, demandant à l’administration française de regarder aussi les possibilités offertes par les logiciels libres. Avec la loi Lemaire ou loi pour la République Numérique (promulguée en 2016), l’État doit garantir la maîtrise, l’indépendance et la pérennité des systèmes d’information, et demande à ce que tous les développements opérés par l’État doivent être ouverts et réutilisables. Cela signifie que nous sommes « open » par défaut en France, ce qui représente un vrai changement de paradigme : nous ne sommes plus seulement consommateurs, mais également producteurs d’OS. Aujourd’hui, nous voulons créer du commun numérique, sur la base du logiciel libre. Et pour le faire, nous avons aussi créé la notion de start-up d’État, afin d’être innovant. »
Christian Paterson, Head of open source governance chez Orange
« Dans le secteur des télécommunications, la question de l’interopérabilité est fondamentale et l’on peut voir l’Open Source comme un axe de facilitation. Partager les codes, c’est déjà une étape menant vers cette interopérabilité. Des produits en OS peuvent aussi rapidement devenir de nouveaux standards, ce dont ont besoin les API ! Orange utilise ainsi plusieurs standards implémentés en OS. »
Simon Clavier, Libre & Open Source Software Strategist à la SNCF
« Pour la gestion des voies ferroviaires, nous avons beaucoup de logiciels propriétaires. Mais avec le temps et l’évolutions des métiers de plus en consommateurs de logiciels, cette situation est devenue insoutenable : il faut diminuer les budgets alloués aux systèmes d’information. Aller vers l’Open Source à la SNCF, c’est une révolution car cela ne s’inscrit pas dans les habitudes historiques de l’entreprise. En interne, notre stratégie consiste donc d’abord à expliquer comment l’OS peut devenir une force, de démontrer que le logiciel libre permet de garantir la maîtrise et l’indépendance du SI. À côté de cela, nous voulons aussi affirmer que l’OS permet d’intégrer une communauté, d’échanger, de s’épanouir. En ce sens, nous comptons sur les nouvelles générations pour nous « désintoxiquer » du logiciel éditeur, on compte sur ces profils là, sur ces nouvelles générations. En ce qui concerne nos applications, le changement est déjà établi, comme avec l’appli Voyages SNCF, réalisée avec 80 % de solutions OS ! Au final, l’OS représente la culture du mérite : tout le monde a sa place et peut progresser en s’entraidant. Il faut insuffler cela dans un maximum d’entreprises. »