Juliette Tisseyre (EPITA promo 2014) : « Je voyais l’informatique comme un jeu »
En mars dernier, l’EPITA s’associait aux autres écoles d’ingénieurs du Concours Advance pour lancer la première édition de « Yes she can », une émission faisant la part belle à la féminisation des métiers technologiques et scientifiques. Parmi les étudiantes et Alumni ayant répondu à l’appel de l’événement se trouvait Juliette Tisseyre (EPITA promo 2014), aujourd’hui Lead Développeuse chez Deepomatic.
Juliette Tisseyre lors de Yes She Can
Comment décririez-vous votre métier actuel ?
Juliette Tisseyre : Je suis Lead Développeuse. Cela signifie que je code tous les jours même si je gère en même temps l’équipe de développement. Je choisis – à petite échelle – la direction technique à prendre, répartis les tâches à réaliser, vérifie que les lancements se passent bien et soient en raccord avec ce que promet le produit… Cela représente une bonne partie de mon travail même si 50 % de mon temps consiste tout de même à coder au quotidien !
À quoi sert ce code, justement ?
Juliette Tisseyre : Je fais ce qu’on appelle du code logiciel. En effet, je travaille dans une start-up spécialisée dans la reconnaissance visuelle pour l’industrie, qui est capable par exemple de détecter des anomalies dans des images ou juste de comprendre ce qu’il se passe à l’image, comme le fait de détecter des étiquettes sur des câbles et de vérifier si les inscriptions présentes sont bonnes. Cette technologie repose sur de l’intelligence artificielle et, pour permettre à nos clients de déployer cette solution rapidement et la plus simplement possible, nous « cachons » sa complexité derrière une plateforme qui leur est destinée. L’idée est d’ainsi démocratiser la reconnaissance visuelle, qui permet de faire beaucoup de choses, et donc de faire en sorte que d’autres entreprises puissent l’utiliser à leur tour, que cela ne soit pas la chasse gardée des grosses compagnies de la tech.
Qu’est-ce qui vous plaît dans ce rôle ?
Juliette Tisseyre : C’est d’abord l’impact. Je développe un logiciel, j’observe directement les « features » qui grossissent, je corrige les problèmes et je vois ensuite concrètement comment cela impacte les utilisateurs. Mais cette notion d’impact, je la retrouve aussi dans mon environnement de travail car, dans une start-up, il y a souvent encore tout à construire, à organiser et à réorganiser… Cela permet d’avoir de l’impact au quotidien. Ce qui me plaît aussi dans mon métier actuel, c’est la stimulation intellectuelle, le challenge. Il n’y pas un jour qui se ressemble et l’on doit tous les jours apprendre des nouvelles technologies, de nouvelles manières de faire, comment s’adapter aux usages qui changent… Je ne m’ennuie jamais, d’autant que c’est un vrai travail d’équipe : chacun apporte sa pierre à l’édifice. C’est loin d’être un travail solitaire !
Cela va à l’encontre de ce célèbre cliché du développeur qu’on imagine comme étant une personne seule devant son ordi.
Juliette Tisseyre : Dans une entreprise, celui qui code tout seul est un mauvais développeur ! C’est même contre-productif car il faut rencontrer les autres métiers, se coordonner avec les équipes, adopter des pratiques communes, etc. La communication, même si l’on n’y pense pas forcément, joue aussi un rôle très important dans le métier de développeur. C’est essentiel de pouvoir expliquer, d’aider les autres et de transmettre.
Pourquoi aviez-vous choisi de rejoindre l’EPITA ?
Juliette Tisseyre : Il faut s’avoir qu’avant de rejoindre l’EPITA, j’ai d’abord tenté une prépa Maths/Physique… et que cela s’était mal passé ! J’adorais les maths, mais en « manger » 10 heures par semaine était au-delà de ma limite… J’ai alors voulu me diriger vers quelque chose de plus concret et, même si je n’en avais alors jamais fait, je pensais déjà à l’informatique dans un coin de ma tête. J’avais l’intuition que cela allait me correspondre. J’ai donc décidé de tenter l’EPITA, une école très technique, pour me changer de cette expérience très théorique de la prépa, et cela m’a tout de suite plu. Je me suis investie à fond dans l’école, devenant même prof de code pour les promotions d’en dessous !
Qu’est-ce qui vous a tant plu ?
Juliette Tisseyre : Je voyais l’informatique comme un jeu, un puzzle. On sait où l’on doit arriver et on essaye d’assembler des briques pour y parvenir. Au début, cela ne marche pas, alors on doit corriger. Et puis on trouve quelque chose qui marche un peu, mais comme ce n’est pas suffisant, on se renseigne, on demande aux autres, on change tout… et au fur et à mesure, on parvient à construire ! Mais c’est vrai que, les premiers temps, il y a beaucoup de fois où l’on se demande pourquoi ça ne marche pas ! (rires) Aujourd’hui, avec l’expérience emmagasinée, je passe finalement mois de temps à coder et plus à réfléchir d’abord à comment je vais m’y prendre, en définissant comment résoudre le problème qui se pose à moi.
Que retenez-vous de vous années à l’EPITA ?
Juliette Tisseyre : Je retiens principalement le travail en équipe car, au fil du cursus, on a eu beaucoup de projets à réaliser, dans des groupes de deux, trois, quatre personnes. J’essayais souvent de changer de partenaires, histoire de pouvoir me confronter à des profils différents – des gens d’un autre niveau ou qui ne réfléchissent pas de la même manière. Il fallait toujours se débrouiller et trouver du temps pour avancer ensemble. Cela créé forcément des liens et vous apprend à travailler avec les autres.
Pourquoi avez-vous accepté l’invitation à participer à ce premier « Yes she can » ?
Juliette Tisseyre : Parce que la cause me parle ! En France, les femmes ne représentent qu’un quart des ingénieurs et ce n’est clairement pas assez. C’est même encore pire dans le secteur de la Tech, avec seulement 8 % de développeuses. C’est ridicule ! Voilà pourquoi cela me tient toujours à cœur de montrer qu’un tel métier peut être accessible et, aussi, qu’il ne correspond pas du tout aux préjugés qui peuvent y être associés. Moi, je suis ingénieure et je suis comme je suis : je ne porte pas un sweat à capuche et ne joue pas en permanence aux jeux vidéo – même si j’y joue aussi, comme tout le monde ! C’est important de pouvoir casser les clichés.
Enfin, quel conseil adresseriez-vous aux futurs étudiants de l’école, filles comme garçons ?
Juliette Tisseyre : Il ne faut pas hésiter à multiplier les expériences professionnelles, notamment lors des stages, dans des structures et entités de tailles différentes, mais aussi sur des projets différents. C’est par la pratique que l’on peut se rendre compte si des sujets, des technologies ou même des métiers nous plaisent plus que d’autres. Cela permet de mieux définir son fil conducteur de carrière !
Au fond, il faut profiter de ses études pour oser.
Juliette Tisseyre : Bien sûr, surtout dans l’informatique qui est un secteur où tout change tout le temps et où l’on ne peut pas se reposer sur ses acquis. On doit toujours apprendre, expérimenter et, aussi, écouter les autres !