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Julien Quintard (EPITA promo 2007), CEO de Routine : « Il faut vraiment voir l’entrepreneuriat comme un marathon »

Lancée en 2020, Routine est une solution qui a pour ambition de changer la façon dont les personnes très actives travaillent afin de leur permettre de gagner en productivité. Un beau projet que l’on doit à Julien Quintard (EPITA promo 2007), son CEO et cofondateur, qui n’en est pas à son coup d’essai dans le monde de l’entrepreneuriat. Déjà à l’origine de la start-up à succès Infinit, spécialisée dans le transfert de fichiers sur Internet, cet Ancien a justement un parcours tout sauf routinier. De ses premiers pas dans le hacking à sa découverte de l’EPITA et de l’Université de Cambridge en passant par sa courte carrière de chercheur et son apprentissage sur le terrain de l’écosystème des startups, Julien Quintard ouvre l’album à souvenirs.

Julien Quintard

Qu’est-ce qui t’a poussé à rejoindre l’EPITA ?

Julien Quintard : Je faisais déjà de l’informatique à l’âge de 11-12 ans. J’avais découvert ça assez tôt et c’est vite devenu ma passion : c’était mon truc ! Et donc, pour moi, le choix de l’école à faire après le bac n’a jamais vraiment été un sujet, puisqu’à l’époque, l’EPITA faisait partie des rares écoles dédiées et jouissait déjà d’une bonne réputation en la matière. Peut-être que ça parlera à d’autres personnes de ma génération, mais je me souviens avoir été particulièrement marqué par la plaquette de l’école de cette période, qui montrait le visage d’une personne avec des lunettes, en mode hacker. Ce côté hacker parlait justement à ma génération car beaucoup d’entre nous venaient un peu de ce monde-là. Moi, par exemple, avant de rejoindre l’école, je faisais déjà de la sécurité, un peu de hacking, etc.

Tout le monde ne s’amusait pas non plus à faire du hacking ni de la cybersécurité à l’adolescence…

Julien Quintard : C’était une autre époque ! Je pense que tout a vraiment démarré pour moi en commençant à faire de la programmation basique sur l’ordinateur de mon père. Je me suis ensuite mis à faire de la programmation sur des calculatrices, pour y développer des petits jeux, puis j’ai découvert le langage C, toujours par moi-même. Cela m’intéressait énormément, si bien que j’ai rapidement rejoint des communautés dédiées, ce qui m’a ensuite donné envie de me lancer dans le hacking, en développant alors de petits programmes qui font du chiffrement, de la communication ou qui permettent d’exploiter la vulnérabilité des logiciels. Bon, cela restait assez basique – je devais avoir 16 ans ou quelque chose comme ça –, mais c’était déjà un premier pied dans l’univers de la programmation et de la compréhension des systèmes. De manière générale, cela m’ouvrait les yeux sur toute la complexité d’un système informatique, du processeur jusqu’à l’applicatif.

C’est ce goût pour la sécurité et le hacking qui te pousseront, quelques années plus tard, à intégrer la Majeure Systèmes, Réseaux et Sécurité (SRS) ?

Julien Quintard : Bonne question ! (rires) Honnêtement, je ne sais pas. Je crois que mon choix d’intégrer SRS est arrivé un peu plus tard. Alors oui, c’est vrai, j’ai commencé par la sécurité, au sens « hacking » du terme, mais ce n’était pas de la sécurité organisationnelle comme la spécialité SRS l’enseignait alors. Moi, au début, ce qui me plaisait vraiment, c’était l’exploitation. Sauf qu’assez rapidement, je me suis rendu compte que la sécurité des systèmes bas niveau – et donc l’exploitation de failles – passait par des problèmes liés à la manière dont fonctionnent les microprocesseurs. C’est ça qui m’a amené à vouloir étudier davantage les microprocesseurs et les systèmes bas niveau, donc les noyaux de système d’exploitation comme Linux. Je me suis davantage orienté là-dedans, préférant me lancer dans la construction de systèmes plus fiables que dans l’exploitation pure des failles.

Julien et Quentin Hocquet, l’autre cofondateur de Routine

Au sein de l’EPITA, tu as aussi connu un parcours atypique, puisqu’avant même d’obtenir ton diplôme, tu officiais déjà en tant qu’intervenant auprès d’autres étudiants de l’école. Peux-tu nous expliquer comment tu t’es retrouvé dans cette position ?

Julien Quintard : Encore une fois, c’était vraiment une autre époque ! (rires) D’ailleurs, je sais pas si cela serait possible aujourd’hui, probablement pas ! J’étais alors en 3e année, une étape du cursus où les étudiants peuvent suivre des cours optionnels. Comme avec mon camarade de promo Jean-Pascal Billaud qui, aujourd’hui, vit aux États-Unis, on s’intéressait déjà au bas niveau – on avait même rejoint le laboratoire LSE de l’école en parallèle –, nous avons proposé au directeur des études d’ingénierie de l’époque, Pierre Testemale, d’en proposer une autour du développement d’une sorte de borne d’arcade sur ordinateur. On devait alors tout développer au-dessus du microprocesseur, ce qui était assez marrant et aussi un bon moyen de découvrir des choses que nous n’avions pas l’habitude de côtoyer. L’option, surnommée « projet k », a attiré pas mal d’étudiants et fonctionné bien plus que ce qu’on aurait pu l’imaginer. L’idée, c’était un peu de faire du « code à trous » afin d’inciter les étudiants à se renseigner sur les concepts et à développer le système d’exploitation au fur et à mesure. Au vu de ce succès, la direction nous a alors proposer d’étendre ce cours à toute la Majeure SRS via un nouveau projet nommé « kaneton » ! Jean-Pascal et moi nous sommes alors retrouvés à animer un cours dédié à la conception des noyaux de système d’exploitation en microkernel, un truc très bas niveau et très compliqué, à des étudiants qui, eux, étaient en 5e année ! C’était forcément une opportunité rare et une chance exceptionnelle pour nous d’avoir la possibilité d’enseigner et donc d’expliquer des concepts un peu compliqués, de chercher à les vulgariser, pour monter un cours s’étalant sur toute une année.  Une super expérience. Et pour la petite anecdote, ce cours a continué pendant huit ans !

Tu parlais du LSE, aujourd’hui intégré au sein du Laboratoire de Recherche de l’EPITA (LRE). Pourquoi avoir décidé de rejoindre ce labo en parallèle de tes études ?

Julien Quintard : Avec Jean-Pascal, on avait simplement décidé d’y postuler parce qu’on s’ennuyait un peu ! (rires) En fait, c’était assez logique pour moi de saisir cette opportunité. Comme j’étais passionné par la sécurité des systèmes, je savais que rejoindre le laboratoire allait me permettre de creuser le sujet et de travailler avec des gens partageant cette même passion, dont Vianney Rancurel, son directeur de l’époque, quelqu’un de très compétent, qui planchait sur des concepts uniques très poussés. Avec les équipes, on a notamment pu creuser des concepts d’allocation et de gestion de mémoire d’un point de vue systèmes d’exploitation, systèmes de fichiers…  Cela m’a clairement mis le pied à l’étrier sur pas mal de sujets dont le système de fichiers qui, justement, occupera une place importante par la suite durant mon doctorat.

Te prédestinais-tu à la recherche avant d’intégrer le labo ?

Julien Quintard : Non, pas vraiment. C’est plutôt en me rendant compte que travailler dans l’industrie n’était pas mon truc que j’ai commencé à vraiment me tourner vers la recherche. Malheureusement, contrairement à aujourd’hui, on ne pouvait pas faire de thèse à l’EPITA : pour trouver une thèse, il fallait d’abord que je fasse un master ailleurs. Je vais donc me retrouver à suivre un Master Recherche en Systèmes et Applications Répartis à l’Université Pierre et Marie Curie (UPMC) en parallèle de mes deux dernières années à l’EPITA, avec l’aval de l’école, bien entendu.

C’est ce goût pour la recherche qui t’emmènera en Angleterre pour réaliser ton stage de fin d’études à l’Université de Cambridge où tu effectueras ensuite ton doctorat…

Julien Quintard : Exactement. J’en profite d’ailleurs pour rappeler combien il est important de pas sous-estimer l’importance du réseau. En effet, si j’ai pu rentrer à Cambridge en doctorat, ce n’est pas uniquement parce que j’avais de bonnes notes – des gens qui ont de bonnes notes, il y en a partout dans le monde -, mais aussi grâce au réseau, dans le sens où l’un de mes professeurs à l’UPMC avait aussi pu faire un doctorat à Cambridge par le passé. Forcément, celle qui allait être ma future directrice de thèse là-bas n’est pas restée insensible à sa lettre de recommandation. C’était un soutien de poids, clairement. Voilà pourquoi j’insiste sur ce point : il faut toujours essayer de rencontrer les gens, d’échanger avec eux. Cela peut toujours aider dans le futur.

D’autant que cette thèse va être également décisive dans le début de ton parcours professionnel puisque c’est elle qui, en partie, va donner naissance à ta première entreprise, Infinit.

Julien Quintard : Oui. J’ai commencé l’informatique avec le hacking, puis j’ai fait du système, et les systèmes d’exploitation m’ont ensuite amené vers les systèmes distribués aux particuliers, quelque chose qui est désormais connu aujourd’hui, mais qui, à l’époque, était avant tout un sujet de recherche. Je me suis alors pris de passion pour ce domaine qui, honnêtement, n’intéressait alors pas grand monde ! (rires) C’est un peu comme l’intelligence artificielle qui, à l’EPITA à l’époque, n’attirait que les plus curieux… sauf que, 20 ans plus tard, tout le monde se les arrache ! (rires) Bref, je me suis donc lancé dans l’études des systèmes distribués et plus particulièrement dans le système décentralisé à très large échelle. Comment est-ce qu’on prend 1 million d’ordinateurs ou de périphériques pour les faire travailler ensemble afin de fournir un service de qualité, fiable et sécurisé malgré le fait que ces ordinateurs ne se connaissent pas et ne peuvent pas se faire confiance ? Ce genre de question n’intéressait absolument personne – nous étions peut-être moins de 10 dans le monde à faire de la recherche dessus –, alors qu’aujourd’hui, tout le monde parle du Bitcoin, de la blockchain, etc. Si l’approche de la Blockchain est différente de ce que moi je faisais, le but est, lui, identique.

Qu’est-ce qui te passionnait autant dans les systèmes décentralisés ?

Julien Quintard : L’idée de faire marcher quelque chose avec des gens qui ne se font pas confiance. Quelque part, ça fait un peu écho à ce qu’est une démocratie, où les gens arrivent à se mettre d’accord avec un système de vote alors que, individuellement, s’il pouvait s’entretuer, peut-être qu’ils le feraient. C’est donc cet intérêt qui m’a amené à ma thèse puis à la création de ma première société. En effet, en arrivant à la fin de ma thèse, j’ai compris que mon caractère, au fond, se prêtait plus à la création de produits qu’à la recherche – ce n’est pas pour rien si j’ai fait des études d’ingénieur au départ. J’ai alors eu la chance d’être invité à un parcours entrepreneurial à la Cambridge Judge Business School, pour faire mes premiers pas dans l’entrepreneuriat et ensuite me lancer en créant une société basée sur ma thèse en 2011, Infinit.

Infinit se définissait comme une entreprise spécialisée dans le transfert de fichiers sur Internet. Cela consistait en quoi exactement ?

Julien Quintard : En fait, on faisait beaucoup de choses avec peu de ressources ! Encore une fois, monter une start-up en 2010, ce n’est pas pareil que monter une start-up aujourd’hui : à l’époque, il y avait très peu d’investisseurs et il fallait donc arriver à montrer des résultats avec vraiment très peu de choses. Bref, au départ, Infinit se basait sur la vision développée dans ma thèse, à savoir le développement d’un système de stockage reposant sur les ressources inutilisées par un ensemble d’ordinateurs qui ne se font pas confiance et qui peuvent être situés n’importe où dans le monde. L’idée était de pouvoir agréger toutes ces ressources de stockage et, en activant de la compression, de la réplication, de la déduplication et plein de fonctionnalités pour ne pas perdre la donnée, d’obtenir un système de fichier permettant de stocker ces données à moindre coût. Un utilisateur pouvait ainsi utiliser l’espace de stockage d’autres personnes pour stocker des répliques de ses données, qui sont chiffrées, et contribuer en retour en « donnant » de l’espace de stockage pour les autres. Au final, tout le monde pouvait bénéficier de la solution. Infinit a donc commencé comme ça, puis on s’est rendu compte qu’en raison du manque de financement, il valait mieux pivoter et partir sur une solution plus simple, à savoir une application de transfert de fichiers volumineux en pair à pair, soit d’un point A à un point B, sans passer par le cloud. Aujourd’hui, un service comme WeTransfer vous demande d’uploader vos données sur un serveur pour ensuite permettre à ces dernières d’être retéléchargées ailleurs, ce qui est assez lent. Nous, notre solution en pair à pair permettait d’aller 30 fois plus vite ! L’entreprise s’est donc axée sur cette application pendant un petit moment avant, finalement, de pivoter à nouveau, pour enfin redévelopper ce que je voulais faire pendant ma thèse… et ça a très bien marché. Rapidement, on a eu des offres d’acquisition de Dropbox et, surtout, de Docker à qui l’on a fini par vendre la société en 2016 afin qu’ils puissent appliquer la technologie à l’ensemble de leurs produits destinés aux développeurs.

Il se trouve que Docker a été fondé par un autre Ancien du Groupe IONIS, en l’occurrence Solomon Hykes (Epitech promo 2006). Est-ce que cela a joué dans la balance au moment de prendre la décision de la vente ?

Julien Quintard : Pas du tout ! (rires) Paradoxalement, je ne connaissais pas Solomon alors qu’il poursuivait ses études à la même époque que moi ! Je l’ai connu grâce à une personne rencontrée lors de mon passage au sein de l’accélérateur de startups Techstars à New York que j’avais intégré avec Infinit. Cette personne avait justement développé une solution pour les conteneurs qui avait déjà été vendue à Docker. Ce qui est amusant, c’est qu’au départ, j’avais simplement contacté Solomon car j’avais deux questions à lui poser : comment lever des fonds alors qu’on est en train de changer de modèle et comment faire de l’Open Source ? Mais durant notre appel, il n’a répondu à aucune de ces deux questions ! (rires) En effet, au fil de notre échange, il s’est rendu compte que Docker avait un grand besoin d’une solution de stockage et que celle d’Infinit semblait particulièrement y répondre. C’est ça qui a amené le sujet de l’acquisition sur la table. Encore une fois, cela montre l’importance de faire des rencontres lorsqu’on est entrepreneur : ça permet aussi parfois de détecter des besoins ou des intérêts communs et donc de se rendre compte qu’un « mariage » peut être plus pertinent plutôt que de rester chacun de son côté sans se parler !

Quand on est entrepreneur à la tête d’une start-up découlant de sa propre thèse, est-ce compliqué de décider de la vendre ? A-t-on l’impression « d’enlever un petit bout de soi » ?

Julien Quintard : C’est sûr qu’Infinit était un peu mon bébé – cela faisait neuf ans que je travaillais sur le sujet depuis le début de ma thèse. D’ailleurs, dans le premier papier scientifique que j’ai publié en 2007, je développais déjà cette idée de solution de stockage de données. Alors oui, donner le contrôle à quelqu’un d’autre et décider de ne pas aller plus loin alors qu’on aurait pu continuer à se développer et que les investisseurs voulaient investir, cela équivaut à une certaine forme de renoncement. Sauf que, dans l’entrepreneuriat, il y a d’autres éléments à prendre en compte. Certains vont tout de suite penser à l’argent, mais ce n’est pas que ça : il y a aussi la fatigue. C’est un point important. Moi, j’étais un jeune entrepreneur sans énormément d’expérience. Certes, j’avais appris beaucoup de choses pendant les six dernières années, mais je m’étais aussi très fatigué. On avait tout de même « pivoté » deux fois faute de capitaux nécessaires afin de pouvoir se développer plus facilement ! Et même si, désormais, on trouve davantage d’investisseurs potentiels prêts à soutenir ce genre de produits, ce n’était pas forcément le cas il y a 10 ans. Sauter dans des cerceaux tous les 3 mois pour montrer aux investisseurs que nous n’étions pas mauvais et enfin pouvoir, après 4-5 ans de travail, développer la solution qu’on avait en tête depuis 9 ans, c’était usant. Au fond, j’avais aussi envie de passer à autre chose. Mais je savais que Docker était un bon choix car c’était une aventure exceptionnelle. Rejoindre cette entreprise pour lui fournir toute la couche de stockage nécessaire afin qu’elle soit ensuite utilisée par des millions de développeurs dans le monde, c’était aussi une façon pour nous de mettre à disposition du plus grand nombre notre technologie le plus rapidement possible plutôt que de le faire nous-mêmes.

Aujourd’hui, après l’aventure Infinit, on te retrouve donc derrière Routine. Mais qu’est-ce qui s’est passé entre ces deux étapes ? On imagine qu’après presque une décennie à développer une première entreprise, on a aussi besoin d’une pause, non ?

Julien Quintard : C’est vrai. D’ailleurs, après Infinit, j’avais toujours dit que jamais plus je ne créerai de start-up tellement j’étais ressorti fatigué de cette période – ce n’est pas pour rien si tout un tas de cheveux blancs sont apparus d’un coup ! Après le rachat, je me suis déjà un peu reposé en continuant simplement à développer la technologie directement chez Docker, où je suis resté un an et demi. Mais au bout d’un moment, j’ai ressenti le besoin de me reposer davantage. J’ai alors préparé un tour du monde avec ma copine. Et là, à dix jours du grand départ, le destin – ou plutôt le réseau – me rattrape ! (rires) En effet, Techstars me contacte et me propose de reprendre la direction d’un de ses accélérateurs. Sur le coup, je leur réponds que je ne suis pas intéressé, que j’ai envie de faire un break et que je m’apprête à un long voyage. Techstars insiste un peu et, finalement, je me retrouve à devoir décider en sept jours si j’accepte leur proposition ou non… et j’ai donc annulé mon tour du monde. J’ai alors débuté une phase un peu transitoire, en passant de « l’autre côté de la barrière ». Cette fois, c’était moi qui allais à la rencontre d’entrepreneurs pour découvrir leur projet, investir et les accompagner pendant 3 mois de manière très intensive pour les aider à partir sur de bonnes bases. C’était une position beaucoup moins stressante et surtout très stimulante car elle me permettait d’être entouré d’entrepreneurs fourmillant d’idées et d’énergie.

C’est ce rôle de mentor qui a donné l’idée à l’origine de Routine ?

Julien Quintard : En partie. Pendant ces deux années passées chez Techstars, les entrepreneurs que j’encadrais me posaient de nombreuses questions sur l’organisationnel d’un point de vue personnel : ils se demandaient comment organiser leur temps de travail, gérer les priorités, être sûrs de plancher sur ce qu’il faut pour leur start-up, etc. C’est logique car l’entrepreneur cherche toujours à garder le contrôle de son temps pour ne pas devenir fou et perdre le contrôle. Au début, je leur répondais individuellement, puis au fur et à mesure, j’ai commencé à mette en place des petites sessions de groupe, pour que chacun puisse en parler. Histoire de synthétiser tout ça, je me mets à préparer une présentation que l’on me demande ensuite de faire dans différents endroits en France. Dès lors, après avoir listé tous les meilleurs produits du marché et dressé les bonnes méthodologies que la plupart des entrepreneurs expérimentés ont pu déjà mettre en place, je me demande ce que pourrait donner une solution rassemblant le tout, une sorte de produit nouvelle génération qui irait vraiment beaucoup plus loin. Je commence à y réfléchir et à poser sur papier les différents concepts clés. Au bout de six mois à me creuser la tête, je suis confronté à un problème commun à beaucoup d’entrepreneurs : soit j’arrête d’y penser, je passe à autre chose et me recentre uniquement sur mon boulot à Techstars, soit j’accepte que cela soit une obsession et me décide à agir. Et bien, malgré ma promesse de ne jamais plus remonter de start-up, j’ai dû me rendre à l’évidence : j’avais ça dans le sang. De toute façon, je savais que je n’allais pas perdre mon temps à travailler sur un sujet qui me passionnait autant. Ce n’était pas développer quelque chose avec pour unique intérêt l’argent. Là, j’avais envie d’explorer le sujet. J’ai donc reformé une équipe, avec beaucoup d’anciens d’Infinit d’ailleurs, et puis, fin 2020, l’aventure Routine s’est vraiment lancée.

Quand on navigue sur le site de Routine, on remarque que le service a déjà l’air d’intéresser pas mal de structures de l’écosystème start-up…

Julien Quintard : Au début, on a pu lever un peu d’argent auprès de business angels de mon réseau, puis, rapidement, on m’a conseillé de rejoindre un autre accélérateur, Y Combinator. J’ai un peu hésité puis je me suis rappelé que cela allait me permettre de m’entourer des gens brillants. Or, j’ai toujours aimé fonctionner comme ça, ne me considérant pas comme étant quelqu’un ayant déjà toutes les réponses. On a donc postulé et on a été accepté pour suivre le programme de janvier à mars 2021, en pleine période du Covid-19. Avec ma petite équipe à Paris, on a alors poursuivi le développement du produit tout en distanciel. En avril, on a levé 3 millions auprès d’investisseurs américains et allemands. Depuis, on continue d’itérer pour développer le produit et trouver notre positionnement exact dans ce marché extrêmement mouvant – tout le monde sent bien que c’est le bon timing et qu’il va se passer quelque chose. Aujourd’hui, on a de bons chiffres, une bonne croissance, avec près de 40 000 personnes sur la liste d’attente pour notre bêta privée, mais il y a encore beaucoup de choses à faire pour développer une solution de productivité combinant le calendrier à la gestion de tâches et la prise de notes. Développer trois outils en un, c’est normalement un suicide, quelque chose qu’on ne doit jamais faire, mais nous sommes convaincus que c’est justement ce qui nous permettra d’avoir toutes les cartes en main pour ensuite créer de la valeur par-dessus. On maintient donc notre vision et notre cap, d’autant qu’on reste au plus près des utilisateurs afin de bien comprendre quelles sont les choses les plus pressantes à développer, celles qui fonctionnent et celles qui ne fonctionnent pas.  C’est une itération continuelle pour arriver à améliorer le produit et aller dans la bonne direction.

Lors de cet échange, tu as pu donner de nombreux conseils sur le fait de cultiver son réseau, d’oser échanger, d’être curieux et de bien s’entourer. En as-tu un dernier à donner aux futurs ingénieurs de l’EPITA, notamment à ceux qui s’intéressent à l’entrepreneuriat ?

Julien Quintard : J’en ai deux qui me viennent en tête. Le premier, j’en ai déjà un peu parlé : c’est de ne jamais oublier la passion. On vit dans un monde où le capitalisme est quand même bien développé, avec de plus en plus de gens qui génèrent beaucoup d’argent dans le monde des startups. Cela peut être attrayant pour les jeunes qui peuvent vouloir devenir riches rapidement – on l’a d’ailleurs vu avec la fièvre autour des cryptomonnaies –, mais les choses se passent rarement comme ça. Les gens qui s’enrichissent beaucoup, en général, doivent surtout travailler énormément en amont. Par exemple, je connais très bien les personnes derrière la banque Qonto qui, en 2022, a levé près de 500 millions d’euros, car j’avais les mêmes investisseurs qu’eux à l’époque d’Infinit. Au départ, ils n’étaient que deux et ont démarré avec une première entreprise qui s’appelait Smokio. Ils ne se sont pas juste réveillés un matin en disant « hey, on va faire une néobanque » et connaître le succès dans la foulée. Non, ils ont beaucoup travaillé, ont construit un gros réseau, avec énormément de connexions dans le monde bancaire… Et sans passion, ils n’auraient pas pu y arriver. L’entrepreneuriat, c’est extrêmement compliqué. De l’extérieur, on peut se dire que ça a l’air cool d’être dans une start-up, que cela permet de briller lors des dîners mondains, mais moi, quand on me demande comment ça va dans ma start-up, ça m’ennuie plus qu’autre chose. Au fond, je n’ai rien à dire de particulier parce que je suis dans un développement continu. C’est vraiment un chemin psychologiquement très dur parce que c’est quand même 99 % du temps des baffes pour 1 % seulement de petites fleurs qui vous tombent dessus. Il faut une solide carapace. Et si on ne le fait pas pour la passion de l’objectif final, c’est vraiment suicidaire. Si vous lancez une néo banque alors que vous n’en avez rien à faire des banques, je pense que vous n’allez pas tenir longtemps ! Il faut vraiment être passionné par le problème pour le développer et le régler.

Mon second conseil porte sur l’attitude vis-à-vis de l’effort. De nombreux jeunes entrepreneurs, jeunes – j’en vois et j’en coache encore beaucoup – se crament très rapidement parce qu’ils considèrent qu’il faut travailler comme un fou, avec un rythme par exemple de 16 h par jour, un peu comme s’ils faisaient la Piscine de l’EPITA en continu ! En l’occurrence, cela ne fonctionne pas. Il faut vraiment voir l’entrepreneuriat comme un marathon qui va durer 6, 7, 10, 15 ans… Si vous n’avez pas la passion pour tenir 15 ans, vous ne tiendrez pas et cela vaut aussi pour l’énergie. Si vous n’arrivez pas à vous gérer, ça va être très dur et je peux en témoigner. Au moment où, à Infinit, nous étions sans doute le plus forts dans notre domaine, moi, paradoxalement, c’est le moment de ma vie où j’ai été le plus fatigué. Tout ça pour dire que travailler comme un acharné nuit et jour n’est pas recommandable. Oui, il faut beaucoup travailler, mais il y a plein de gens très intelligents que je connais qui ne travaillent pas tant que ça. En fait, il vaut mieux travailler de manière intelligente plutôt que d’abattre une quantité de travail dingue qui, de toute façon, finira à la poubelle. Si l’on ne fait pas attention, on peut vite se brûler les ailes.

Peut-être qu’on pourra mieux gérer justement cette masse de travail avec Routine ?

Julien Quintard : C’est un peu l’idée ! Bon, ça ne réglera pas tout, mais au moins, ça aidera ! (rires)

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