Ces questions soulevées par l’affaire MegaUpload
Interview sur le sujet de Marie Moin, professeur de droit à l’EPITA.
Le 19 janvier, le ministère de la justice américaine annonçait la mise en accusation et l’arrestation des dirigeants de la société MegaUpload ainsi que l’arrêt complet de ses activités. MegaUpload était la plateforme de streaming la plus réputée auprès des internautes du monde entier. Cette annonce a créé un tremblement de terre sur la toile et dans le milieu de l’édition. C’est un nouveau pavé dans la mare pour les spécialistes des droits d’auteurs. Marie Moin, professeur de droit à l’EPITA, répond à ces quelques questions que ne manquent pas de soulever cette affaire retentissante.
Streaming. Qu’est-ce qui est légal ? Qu’est- ce qui ne l’est pas ?
En principe, l’ayant droit se pose comme défenseur de l’auteur, qui a un monopole d’exploitation sur son œuvre. Toute diffusion de l’œuvre non autorisée par l’auteur ou l’ayant droit est de ce fait une contrefaçon. En pratique, on sanctionne moins sévèrement la contrefaçon qui n’est pas faite en vue d’en tirer des bénéfices comme le prêt ou le partage amical. Ce qui est reproché à des sites comme MegaUpload est d’avoir institutionnalisé la contrefaçon et de fait d’en avoir tiré des bénéfices substantiels. Le principal chef d’inculpation contre MegaUpload est la conspiration, ce qui équivaut en droit français à l’association de malfaiteurs.
De quoi est accusé MegaUpload ?
MegaUpload prétend avoir été hébergeur. La législation en matière d’hébergement stipule que l’hébergeur n’est pas responsable du contenu qu’il a sur son site a priori mais seulement s’il ne réagit pas promptement après qu’on lui ait signalé en bonne et due forme qu’un contenu était illicite. Il semble que MegaUpload ait fait preuve de mauvaise volonté dans l’application de cette règle. En effet, le contenu dénoncé était retiré mais réapparaissait peu de temps après. A l’exception du contenu pédopornographique. Ce qui pose la question de la bonne foi de MegaUpload quand ils se défendent en imputant ces réapparitions à des problèmes techniques.
Pourquoi MegaUpload a-t-il été toléré si longtemps ?
Pour commencer, l’implantation de MegaUpload n’était pas évidente. Ils n’étaient pas sur le territoire américain. Difficile donc de les coincer. Ensuite, toute l’activité de MegaUpload n’était pas illégale. Or la méthode utilisée par les autorités américaines a stoppé totalement les sites. Les personnes qui utilisaient MegaUpload à des fins parfaitement légales se trouvent aussi un peu sanctionnées et on comprend que la décision de stopper le site n’ait pas été prise sans un temps de réflexion. Enfin, MegaUpload avait des pratiques difficiles à prouver et à dénoncer juridiquement. Le fait de limiter la durée du visionnage était une manière de créer l’amalgame entre la représentation partielle de l’œuvre et la représentation autorisée d’un extrait d’une œuvre. De plus, la nature même du mode de la diffusion par représentation comme le streaming rend celle-ci moins facile à prouver que la copie, à l’instar du téléchargement, puisqu’elle ne laisse pas de traces évidentes.
Quelles peuvent être les conséquences de cette affaire ?
La première conséquence est la réouverture du débat sur les sanctions. Les réactions engendrées sont passionnelles, comme celle des Anonymous, ces hackers qui défendent MegaUpload au nom des libertés sur le Web et qui s’en prennent aux sites de ses adversaires. Aujourd’hui, on s’aperçoit que les sanctions de la contrefaçon, au regard du montant des gains espérés, ne sont pas très élevées : trois ans de prison ou 300 000 euros d’amende. Cela attire beaucoup plus que le trafic de stupéfiants ou la prostitution pour lesquels les risques encourus sont beaucoup plus importants. Ensuite, l’affaire réactive le débat sur le filtrage. Est-ce que cette solution présentée comme efficace, n’aurait pas des effets collatéraux dommageables ? Le Stop Online Piracy Act (SOPA), proposition de loi débattue aux Etats-Unis ces derniers mois voulait aller plus loin en facilitant les mesures de filtrage. Enfin, est posée la question des solutions économiques conciliant rémunération des auteurs et des éditeurs et liberté de l’internaute. La solution de la licence globale a été refusée par les ayants droit. Mais le mode de fonctionnement de MegaUpload peut apparaître comme l’ébauche d’un modèle. En effet, le site générait de gros bénéfices à partir des publicités en ligne et des abonnements premium contractés par les internautes qui souhaitaient visionner l’œuvre en streaming d’un seul trait. On peut très bien imaginer que dans un nouveau site légal, cet argent soit redistribué aux ayants droit après avoir été engrangé.